Filip Markiewicz produit une oeuvre investissant autant le champ des arts visuels que celui de la musique (il a fondé son projet musical Raftside en 1999), de la performance ou du théâtre. Cette approche diversifiée des formes d’expressions artistiques se retrouve également dans les matériaux et les techniques utilisés par l’artiste, qui s’empare aussi bien des innovations les plus récentes de production d’images ou d’objets, telle que l’animation numérique, que de techniques traditionnelles comme la peinture à l’huile ou la sculpture en bronze. À travers ce brassage expérimental et une observation critique, Filip Markiewicz s’emploie à déconstruire la mécanique du spectacle capitaliste, non pour lui faire rendre les armes, mais pour l’appréhender dans sa complexité et ses contradictions.
Agitateur plutôt que frondeur donc, l’artiste, dans une approche qui conjugue l’irrévérence dadaïste à l’obsession warholienne pour l’image médiatisée, brosse le portrait de nos sociétés contemporaines consuméristes et hyperconnectées, qualifiées de «!liquides!» par le sociologue Zygmunt »Bauman1.
Celui-ci en pointait, au tournant du siècle, l’instabilité structurelle engendrée par cette addiction au changement permanent. À l’heure où sa dématérialisation s’accélère avec la pandémie mondiale de Covid-19 et qu’un passage de notre monde d’un état liquide à un état gazeux semble s’annoncer, Filip Markiewicz s’attache cependant à produire des formes artistiques solidifiées, des objets tangibles qui portent et dévoilent, à la manière des strates géologiques, les divers états que les flux constants d’échanges et la virtualisation impriment à nos existences.
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Dans ses installations, Filip Markiewicz met en scène une galerie de personnages réels ou fictifs « politiciens, stars de cinéma, héros du quotidien ou de comics — »qui tiennent les rôles principaux dans un monde renversé, au sens debordien2. Les installations de Filip Markiewicz jonglent ainsi avec les faux-semblants de ces images superficielles. En pointant la réification de valeurs existentielles et philosophiques pour en faire des produits de consommation, son œuvre concourt à une confrontation entre la vie et sa marchandisation. Dans cette étude, l’oeuvre d’art revêt une importance particulière puisqu’elle est un objet social d’échanges importants, porteuse d’un capital culturel et intellectuel convertible — puisque c’est une marchandise — »en capital mobilier.
Cherchant à exposer le processus de fabrication d’une oeuvre, sa matérialité et sa valorisation, les dispositifs scéniques de Filip Markiewicz rappellent à dessein ceux des foires d’art contemporain, ces lieux de commerce où la valeur du produit est indexée à la puissance symbolique qui lui est plus ou moins accordée. Mais s’il en expose la mécanique, l’artiste ne renonce en rien au caractère séduisant de tout jeu de construction. Le langage et l’écriture ouvrent ici un espace des possibles et, sous des formes multiples — »citation, slogan, maxime, aphorisme »— », Filip Markiewicz en joue.
En témoigne le titre énigmatique du projet qu’il poursuit depuis plus d’une année et présenté au Mudam (Musée d’art moderne du Luxembourg) en 2011 : Ultrasocial Pop. Sa scansion résonne comme un emprunt au langage de l’industrie du divertissement. Mais dans un monde qui voit naître les NFT (non-fungible token [jetons non fongibles]) et qui par un raccourci(rcuit) stupéfiant fait d’un tweet une oeuvre d’art, quel sens ces mots recouvrent-ils!? L’extrémisme, le populisme, la pop culture, le social »? Une certitude demeure!: Ultrasocial Pop est plurivoque, comme l’oeuvre de Filip Markiewicz tout entière. Filip Markiewicz est né en 1980 à Esch-sur-Alzette, au Luxembourg. Il vit et travaille à Luxembourg et à Hambourg.
Texte par Clément Minighetti
Catalogue de l’exposition « Freigeister » Mudam Luxembourg
1 Zygmunt Bauman, La société assiégée, trad. par Christophe Rosson, Paris, Hachette littératures, 2007.
2 « »Dans le monde réellement renversé, le vrai est un moment du faux »», Guy Debord, La société du spectacle [1967],
Paris, Gallimard, 1992.