Ryoichi Kurokawa
Né en 1978 à Osaka (Japon). Vit et travaille à Berlin.
L’artiste japonais Ryoichi Kurokawa est un véritable poète du cinéma de transformation, qui transfigure avec lyrisme les représentations analogiques de la nature perçue en flux numériques d’images et d’émotions vertigineuses. La précision architecturale de ses images fragmentaires sensibles et synchronisées, placées côte à côte sur notre rétine, tend à déplacer la persistance d’une mémoire floue sous l’effet d’une luminosité illimitée.
La concordance audio et visuelle est essentielle dans les œuvres de Kurokawa. Il considère les éléments sonores et visuels comme les différents vecteurs d’une pièce unique et insiste sur le fait qu’ils doivent circuler ensemble pour entrer en collision au même moment.
Comme le montrent ses œuvres, Kurokawa déclare que la nature est sa principale source d’inspiration. Toutes ses œuvres se situent dans cette notion d’hybridation. Entre l’analogique et le numérique, mais aussi entre le temps et l’espace, le plein et le fragmentaire, le simple et le complexe, le réactif et le contemplatif, l’auditif et le visuel.
Qu’il s’agisse d’enregistrements de chutes d’eau qui se transforment en bruit blanc tout en créant un calme presque spirituel et révérencieux autour du spectateur, ou d’enregistrements de terrain combinés à des structures générées par ordinateur, comme le minimalisme glitch, qui coexistent en harmonie dans un monde terrifiant de guerres et de destructions : Ryoichi Kurokawa invente et présente un langage audiovisuel où la complexité et la simplicité alternent et se combinent en une synthèse fascinante.
Parmi les expositions individuelles et collectives, les performances et les œuvres permanentes importantes de Kurokawa, citons Lithi, Kamu Kanazawa (Japon 2020), s. asmbli[wall], OCT_LOFT China 2020), objectum, Takuro Someya Contemporay Art (Japon 2018), unfold, Minsheng Art Museum (Chine 2020), Coder le Monde, Centre Pompidou (France 2018), The Dream Of Forms, Palais de Tokyo (France 2017), Ordered Disorder, Espacio Fundacion Telefonica (Pérou 2015), Turbulences, Espace Culturel Louis Vuitton (France 2012), One of a Thousand Ways to Defeat Entropy – The 54th Venice Biennale (Italie 2011), transmediale, Haus der Kulturen der Welt (Allemagne 2010), et Synthesis, Tate Modern (Angleterre 2007).
Déclaration
Esthétique de la conversion
L’œuvre de l’artiste japonais Ryoichi Kurokawa s’inscrit dans une tendance, ou une esthétique aux contours multiples, que l’on pourrait qualifier d’esthétique de la transcription ou de la conversion, qui traverse une grande partie de l’histoire de l’art depuis près d’un siècle.
Depuis une quinzaine d’années, dans le domaine de l’art numérique, de nombreux artistes se sont attachés à matérialiser (sous forme sensible, sonore ou visuelle) des installations et des concerts audiovisuels afin de capter notre imaginaire face aux données numériques. D’autres, dans une perspective plus synesthésique, cherchent à mettre en valeur la notion de signal : il s’agit de visualiser des signaux sonores à l’aide de machines, de transformer des images en sons (volontiers abstraits et géométriques) par des calculs sur ordinateur. Cette vague a débuté dans les années 1920, à une époque où de nombreux artistes tentaient de donner naissance à des œuvres visuelles basées sur le temps, dont la gamme de mouvements, l’abstraction, la géométrie, et parfois des figures concrètes, semblaient adhérer davantage à la dynamique de la musique. Parmi les pionniers de cette approche, citons Walter Ruttman, Hans Richter, Viking Eggeling et Lazio Moholy-Nagy. Au cours des dernières décennies, Oskar Fischinger, Len Lye et Norman McLaren ont exploré certains de ces principes par le biais de la musique visuelle.
De la fin des années 1960 à la fin des années 1980, les artistes ont eu accès à des équipements informatiques et vidéo dans des laboratoires, des studios et des institutions dédiés à la recherche et à la création. Les films et vidéos (parfois sous forme d’étude) de John Whitney, Ed Emshwiller et du duo Steina & Woody Vasulka continuent d’arpenter le territoire de l’abstraction, tandis que des cinéastes comme Robert Cahen et Gary Hill explorent les frontières de la représentation et du langage.
Depuis ses premiers travaux au milieu des années 2000, Ryoichi Kurokawa suit le même processus de travail : déformer (à l’aide de logiciels) des images et des sons qu’il enregistre lui-même dans des environnements naturels, tels que des espaces urbains. Grâce à la manipulation numérique, ses matériaux de base s’éloignent progressivement de leur forme originale, gagnant en abstraction, révélant un univers visuel et auditif de teintes et de tons, parfois poétiques mais plus souvent dynamiques, animés de légères convulsions et de pulsations hypnotiques. Aussi technologiques et innovantes qu’elles puissent paraître, ses œuvres naissent en effet de la réalité la plus concrète et plus encore de la nature environnante que l’artiste considère « non pas d’un point de vue romantique, mais plutôt formel », s’inspirant de « ses structures et de ses mouvements ».
Ses œuvres sont souvent calquées sur les nombreux artistes praticiens japonais qui, de la calligraphie à la poésie en passant par le théâtre et la danse, développent souvent leur travail dans un rapport volontiers animiste avec la nature : ses rythmes, ses formes et ses saisons. Cependant, la nouveauté de ce travail est que la démarche de Kurokawa s’inscrit ici dans une perspective plus scientifique que par le passé.