Investir une chambre n’est pas une proposition comme une autre, qui plus est lorsqu’elle porte le nom d’un artiste qui ne m’est pas indifférent et dont la présence s’inscrit largement sur les murs de ce lieu intime.
Le Tableau rouge D’olivier Mosset donne la tonalité de ce qui se passe dans une chambre, percutant et direct. Pourtant il ne montre rien mais reflète comme un miroir opaque ce qui se joue dans les chambres, lieux par excellence de la jouissance des corps. Seul ou accompagné chacun y vit son expérience de l’intimité. Aussi cette chambre, plutôt que de l’investir comme un stand d’exposition, je l’ai pensée comme une installation où chaque œuvres, peinture, sculpture, photographie, dessin et image en mouvement renvoie à la manière dont le corps s’éprouve. Ce réel aussi est impossible à signifier : il ne se résorbe ni dans le discours ni dans les images.
Les fictions disent la vérité c’est-à-dire qu’on ne peut que « mentir-vrai » face au réel.
Comment dire la métamorphose d’un corps, le passage d’un état de l’âme à un autre qui transfigure le corps par un désir incarné ?
A travers les noms qui parlent à tous (Daphnée, Ariane, Dionysos, Thésée, nymphes et satyres…) et les formes, à travers l’hétérogénéité des œuvres plastiques et littéraires rassemblées dans cette chambre, je tente de « faire dire » le réel : C’est ma solution approximative à cette aporie.
« Une chambre à soi » pour paraphraser Virginia Woolf c’est l’espace que l’artiste se donne afin d’y accomplir son œuvre, c’est un espace mental où l’on habite avec son corps. Ici je voudrais que l’on s’y trouve comme chez soi afin que chacun puisse y loger son imaginaire.
Chaque œuvre a sa petite histoire qui ne se révèle qu’une fois qu’elle a été montrée. Lady bazar est une vidéo que j’ai réalisée à Calcutta dans un palais en ruine. Elle montre la déambulation d’une femme dont l’être de fleur est sans pourquoi. Elle fleurit parce qu’elle fleurit, trébuche et passe son chemin. Cette vidéo est née de mon rapport intime à la peinture ; elle m’a été inspiré par un tableau de femme dont j’avais raté le visage. Je l’ai recouvert de fleurs et il m’est apparu en la nommant Daphné qu’elle disait plus et mieux qu’un joli portrait l’être de vivant que je tente d’attraper d’œuvre en œuvre.
Brouiller la forme et rendre sensible le mouvement même de la vie c’est ce que la vidéo me permet. C’est le propos de l’autre vidéo que j’expose ici. Je l’ai réalisée avec trois amis, des jeunes artistes qui m’accompagnent depuis longtemps.
Un groupe déambule non loin des terres de Dionysos. L’expédition ne les mène nulle part ou peut être vers une plage, celle où Ariane abandonnée par Thésée renaît à la vie. Tout près de là une maison en ruine s’est remplie de la joie d’être ensemble qui s’est élargie à l’espace infini entre le ciel et la mer. L’esthétique du » tout et du rien » à travers laquelle se glisse ce qui fait le sel de la vie anime les images qui ne signifient rien.
Les nymphes et les satyres suivant de Dionysos figurent ces êtres qui portent en eux la vie à l’incandescence sans pour autant se laisser brûler par le feu de la passion. C’est cela que j’essaie de rendre sensible, je n’y arrive pas toujours et c’est pourquoi je remets sans cesse le projet à l’ouvrage, d’une pièce à l’autre, d’un médium a l’autre dans les œuvres que je produis seule ou avec d’autres artistes.
Picasso disait que « la peinture n’est pas faite pour décorer les appartements. C’est un instrument de guerre offensive contre l’ennemi. » J’ajoute qu’il s’agit d’une guerre sérieuse que Sollers nomme la guerre du goût. La préface de son livre éponyme dit le programme de résistance dans lequel les arts ont la plus haute importance. Contre le goût du décervelage généralisé, contre la politique des corps que l’on enferme dans l’être et le paraitre, je propose ici une esthétique des corps que la jouissance de la vie anime.
Ma conversation ininterrompue avec Olivier Mosset depuis que nous nous connaissons porte sur notre préoccupation commune pour la politique. J’aimerais que cette proposition soit fidèle à ce qui fonde cette amitié, donc ne pas décorer la chambre mais en faire l’écrin d’une expérience connectée au Réel de la vie.